Le texte ci-dessous est extrait de mon mémoire sur le sujet.
I. Le chant prénatal accompagne des étapes importantes de la naissance et les relie entre elles.
Venir au monde
Les progrès de la médecine et de la psychologie ont complètement changé notre vision du foetus in utero et notre conception de la maternité en général. Fini l’époque du fœtus isolé du monde extérieur et sans liens autres que physiologiques avec sa mère. Différentes expériences ont démontré que les nouveau-nés avaient des capacités méconnues.
Plus récemment, des recherches ont mis en évidence que le fœtus est capable de percevoir des informations sensorielles : il entend, il goûte, il perçoit des sensations tactiles, vibratoires et olfactives qui lui permettent de reconnaître sa mère dès la naissance. Il garde en mémoire des événements du monde extérieur : la tradition universelle des berceuses est basée sur la certitude de cette mémoire. Dans la tradition tsigane, par exemple, un morceau de musique est joué tous les jours de la grossesse pour l’enfant à venir. Le nouveau-né reconnaît cette musique qui apaise ses pleurs et le sécurise. Le bébé in utero est également réceptif à l’état affectif de ses parents : il perçoit des sensations et des émotions négatives ou positives qui ont des conséquences sur son développement. Le fœtus est un être sensible, perceptif et en inter-relation constante avec sa mère : tisser et développer les liens parents / enfant est primordial car l’affectivité est la condition essentielle à l’établissement de cette communication in utero.
Devenir mère
Les valeurs modernes ont longtemps incité la femme enceinte à se comporter comme si de rien n’était ! Il fallait, enceinte, être dynamique et capable de faire toute chose comme avant. Pourtant, tout change dans le corps de la future mère : en 9 mois, elle va construire un être humain complet, le mettre au monde et vivre des transformations corporelles, hormonales et psychologiques importantes. Heureusement, une nouvelle conception de la maternité se développe et invite la femme à être à l’écoute d’elle-même et à diriger ses pensées vers son enfant. Elle se voit proposer des activités spécifiques à la grossesse : la piscine, le yoga, l’haptonomie,…, et le chant prénatal.
Le temps de la grossesse va être un moment particulier, privilégié pour chanter : temps « hors du temps » où tout devient possible, où les règles de la société ne se définissent plus de la même manière. Le « devenir mère » fait éclater les normes et tout semble réalisable : oser aller à la découverte de soi ; savoir lâcher les appréhensions du « qu’en dira-t-on », utiliser des possibilités vocales que l’on croit inexistantes. En participant aux ateliers de chant prénatal, la future maman perçoit que le chant prénatal fait appel à nos facultés motrices, sensorielles et affectives. Qu’il permet la mise en éveil des cinq sens et des lieux de résonance du corps, à la fois émetteur et récepteur des vibrations du son. Que le travail se fait en conscience et de manière équilibrée en s’appuyant sur la carte corporelle des points du chanteur de Marie-Louise Aucher : points d’appui, équilibre des zones de résonances, contrôle et soutien du souffle.
Dans cette écoute des changements de son corps, un dialogue subtil s’installe entre l’enfant et la mère. Les réflexes archaïques de la parole vont surgir, souvent avec étonnement, car la femme a très vite le désir de communiquer avec cet être qui se développe en elle.
Former une famille
L’homme est confronté pendant la grossesse de sa compagne, à un certain nombre de difficultés : il a parfois un sentiment d’exclusion face au mystère de vies et de cœurs mêlés et il subit la transformation de l’équilibre relationnel de son couple. Il se sent impuissant et démuni devant les désagréments vécus par sa compagne et la peur de la voir souffrir lors de l’accouchement.
La séance de chant lui permet de vivre dans son corps le travail vibratoire et respiratoire, de partager le voyage à l’écoute « du dedans ». Elle lui offre, par la compréhension du travail, la possibilité de s’impliquer dans la préparation à la naissance. Le fait de chanter des chansons et des sons graves pendant l’accouchement lui permet de participer et d’accompagner sa compagne. Enfin, l’approche affective tisse un lien fort avec le bébé à venir et lui permet d’occuper son espace spécifique de père.
Les mamans chantent aussi les chansons avec leurs autres enfants afin de les préparer à la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur. Ces chansons, comme un espace de paix et un trait d’union de tendresse, rattachent l’enfant à sa propre histoire en lui faisant partager et vivre émotionnellement ce que sa propre venue au monde a suscité dans notre vie.
II. Un déroulement possible d’une séance d’une heure et demie qui alterne vocalises et chansons.
Liquidation des tensions et fatigues : le travail corporel autour de décontractions et d’auto massages permet de relâcher les tensions et de préparer son corps.
Travail de posture et de verticalité : rechercher une bonne stabilité au sol en position debout ou assise avec les points d’appui des pieds, mobiliser et trouver un bon équilibre du bassin, une souplesse de la colonne vertébrale donne à l’enfant in utero un sentiment de sécurité.
Activation des résonateurs par des petites percussions corporelles pour remonter l’énergie et irriguer les postes sensoriels.
Les vocalises apportent la conscience du corps, du son, de la voix. Elles font office de massage interne et externe sans manipulations. Elles sollicitent doucement le diaphragme, massent le colon et les viscères et favorisent le transit intestinal qui est souvent ralenti chez les femmes enceintes. Elles aident aussi à prendre conscience (ou reprendre conscience après l’accouchement ou après une césarienne) de l’utérus et du périnée. Elles réveillent la respiration, éliminent le stress, permettent le contrôle et la maîtrise du souffle et de la respiration abdominale et costale. Une meilleure qualité respiratoire de la maman entraîne une meilleure oxygénation du bébé. L’enfant, logé au creux de ces résonances et du balancement maternel, recevra ces vibrations sonores par la conduction osseuse puis, vers cinq mois de grossesse par l’audition, avec l’entrée en fonction de l’oreille interne.
Travail du bassin : les futures mamans prennent conscience de cette zone du corps, parfois douloureuse pendant la grossesse, où se concentrera toute leur énergie lors de l’accouchement.
Les mouvements de bascule du bassin tonifient le ventre, détendent les lombaires en abaissant le sacrum et en remontant le pubis et permettent à l’enfant d’être libre dans l’espace de son « berceau ».
Les vocalises les plus graves résonnent directement dans le bassin, magnifique caisse de résonance. Les sons graves chantés pendant l’accouchement vibrent ce bassin et agissent sur la rapidité du travail par l’ouverture et la détente de tout le corps. Mais nous en reparlerons un peu plus loin !
Les balançoires ont un rôle très important : elles activent et favorisent la circulation en massant toutes les parties du pied.
Le balancement est aussi une technique de mémorisation et d’intégration : le corps est sollicité, la mémoire fonctionne et intègre ainsi des textes qui ne s’effacent plus et libèrent la mémoire pour d’autres choses.
Mais bien au-delà de cela, elles amènent aussi à retrouver des rythmes biologiques archaïques et vitaux. Les balancements entre les pôles gauche-droite (axe du souvenir et du passé ; du rythme intérieur apaisant et sécurisant), avant-arrière (axe dynamique de la marche ; de la découverte de l’espace et du temps) et haut-bas (axe de la communication avec le monde d’en haut et d’en bas ; de l’homme qui prend appui sur le sol pour s’élever, se dresser) ne sont pas que corporels ; ils rejoignent l’inspir-expir originel dans un rythme binaire primordial. Ils donnent force et vigueur au cerveau primitif appelé rhinencéphale.
Ils sont aussi dans le geste laryngo-bucal, donc dans le langage. Ils permettent une intégration globale, une synthèse pour devenir « l’homme accompli » : la vie est constamment un passage, un balancement ; la pensée de l’homme est balancement : pensée → pensaré → pesée → balancement.
Enfin, ces balançoires, en amplifiant les mouvements naturels de la maman, développent le sens de l’équilibre et les repères dans le temps et l’espace du foetus.
Les chansons permettent de conscientiser et maîtriser le travail des vocalises pour le plaisir. Ces chansons traditionnelles, ces chansons poétiques et émouvantes, ces créations spécifiques à la grossesse de Marie-Louise Aucher ou d’autres, éveillent des émotions oubliées et ramènent à la mémoire des souvenirs anciens : ils mettent au jour des composantes psychologiques liées au passé, au présent et au futur. Ils nous relient émotionnellement avec nous-même et nous permettent d’entrer en contact avec la réalité intérieure que nous vivons. Par les images, les sentiments, voir par les odeurs qu’elles évoquent, elles favorisent la liquidation des tensions et l’évacuation des émotions et des pensées négatives : le chanteur qui pleure entre en contact avec lui-même ; les mots soignent les maux ! Chanter redonne confiance et permet la réalisation de soi. Les chansons sont un outil d’accompagnement précieux et irremplaçable : elles préservent le lien de bonheur et donnent aux bébés un sentiment de confiance et de sécurité.
Cet atelier de chant prénatal est aussi un lieu de communauté de femmes futures ou jeunes mamans. Entre-elles et à l’abri des « regards extérieurs», elles échangent librement leurs expériences, leurs questionnements, leurs sentiments, leurs peurs et leurs joies.
III. Le chant : splendide façon de dire bonjour à la vie qui arrive !
Il m’est évidemment impossible d’accompagner les femmes dans les salles d’accouchement. Les propos qui vont suivre m’ont été rapportés par les femmes elles-mêmes, après leur accouchement.
Elles expliquent combien les automassages, les percussions et tapotements du bassin détendent et apaisent. Elles racontent comment la conscience accrue de leur corps et de leur posture leur a permis de trouver des positions qui soulagent et favorisent l’ouverture et le passage du bébé. Elles relatent les bienfaits des sons graves pendant les contractions : en chantant des sons graves, elles perçoivent les vibrations dans leur bassin : cela leur permet de rester présentes en conscience dans cet endroit du corps qui travaille. Le travail respiratoire maîtrisé au préalable leur permet d’installer une respiration basse et calme qui les tranquillise.
Tout cela se fait dans la plus grande décontraction possible : en lâchant l’articulation temporo-mandibulaire (A.T.M.) les femmes favorisent l’ouverture : on sait combien une A.T.M. détendue permet l’ouverture et la décontraction de tout le corps et particulièrement du larynx et du périnée : on connaît le lien entre la bouche et le vagin, point de départ et d’arrivée des Vaisseaux Gouverneur et Conception de l’acupuncture.
Enfin « La tenue du souffle et d’un son en fréquence basse semble favoriser l’envoi d’endorphine dans le cerveau et modifier le signal de douleur en abaissant le seuil ressenti par les femmes. » précise Chantal Verdière, sage-femme cofondatrice avec Marie-Louise Aucher du chant prénatal.
L’approche vocale et affective que propose le chant prénatal, se consolidant de mois en mois, permet à la mère, au père et à l’enfant, lors de la naissance alors que le bébé est encore sur le ventre de sa maman, de se « re-connaître » mutuellement par une reprise immédiate des chansons apprises. Les parents réunis chantent ensemble une chanson d’accueil, et c’est magnifique de voir le bébé apaiser sa respiration, se détendre, ouvrir les yeux, « écouter » avec son corps et ouvrir ses mains comme des antennes pour capter les sons.
Bébés récepteurs…
Après l’accouchement, les mamans reviennent rapidement aux séances de chant prénatal : elles sont heureuses de nous présenter leur bébé. Elles partagent volontiers leur vécu et souhaitent préserver les liens établis avant l’accouchement.
Les bébés sont posés sur un tapis au centre du groupe. Que ces tout-petits soient éveillés ou qu’ils finissent par s’endormir, on sent leur bien-être : on peut constater comme ils ont une attention toute particulière à la voix de leurs parents, comme ils sont réceptifs au groupe et à ce qui s’y vit.
Lors d’une séance, une jeune accouchée, son bébé de 15 jours et le papa arrivent à la séance tout heureux de nous présenter leur enfant. Après discussions, partages et félicitations, la séance commence : bébé dort sur son papa, les pieds vers le ventre de son père, sa tête sur les genoux. La jeune maman me demande s’il est possible de chanter une chanson de Mannick intitulée « Berceuse pour un petit enfant à naître » qu’elle a beaucoup aimé chanter pendant sa grossesse. Pas de problème, nous commençons tranquillement : mais tandis que nous chantons, la maman ne peut plus contenir son émotion et se met à pleurer. Le petit garçon qui dormait sur les genoux de son père, à côté de sa mère, tourne alors la tête vers elle, tend ses deux bras en l’air et ouvre ses yeux ! L’émotion du groupe est forte : les futures mamans sont « émotionnées » et le papa laisse lui aussi couler ses larmes.
Il me faut laisser quelques moments de silence pour « digérer » cet évènement. J’explique ensuite comment ce tout jeune enfant a très bien senti dans la voix de sa mère des intonations et des émotions différentes de celles qu’il percevait avant sa naissance. Les chansons sont chantées avec un nouveau regard ; grâce à elles, le bébé retrouve les vibrations perçues et manifeste sa réceptivité aux éventuels troubles de sa mère. Ces chansons expriment « l’indicible » : le groupe partage les émotions des parents et de leur nouveau-né.
Les femmes souhaitent aussi se réapproprier rapidement leur corps qui a subi tant de modifications : le travail des vocalises sert à reprendre conscience et maîtrise du corps, à retrouver souplesse et tonicité du diaphragme, des abdominaux et du périnée.
Les chants de portage, bercements, berceuses et balançoires sont rechantés en balançant le nouveau-né qui retrouve les mouvements de sa mère et est apaisé. Cela lui permet de relâcher les tensions et de liquider le trop plein d’énergie. Là aussi, le bébé manifeste très clairement son plaisir à recevoir ces balançoires : il est dans les bras de sa mère et bénéficie des odeurs, de la chaleur, des vibrations et des mouvements amples de balanciers ; il n’est pas rare que le bébé rit pendant la balançoire et on voit qu’il aurait grand plaisir à ce qu’on lui en offre une autre !
Le bébé, comme l’adulte, est constamment dans l’alternance réceptivité / émission vocale ; intérieur / extérieur ; recevoir / donner et cette nourriture vocale est aussi nécessaire à sa structuration humaine que la tétée que nous lui donnons.
… Bébés émetteurs !
La jeune maman entre dans la salle : « Corinne, je crois que mon bébé chante ! » Son petit garçon a…4 mois ! Et de m’expliquer : « quand je chante, il écoute ; quand je m’arrête, il se met à chanter.» Il est vrai que depuis 4 mois, son petit entend très régulièrement chanter des vocalises et des chansons !
Devant cette question / affirmation émerveillée, je redis combien le foetus est réceptif aux sons qu’il perçoit in utero ; je rappelle que le bébé, avant trois mois vocalise tout seul (ce que l’on appelle le jasis). Entre 3-4 mois et 10 mois, le babillage s’installe : le bébé est dans une conduite d’imitation qui consiste en un échange de vocalisations avec sa mère. Il répond à l’adulte qui le sollicite quand ce dernier se tait. Cela ressemble fort aux prémices d’une conversation mais cela ne dure que 2 ou 3 semaines. Ce n’est que vers 5 mois que les vrais jeux vocaux en questions-réponses se développent.
Le petit est posé sur le tapis et la séance commence : nous sommes toutes attentives à ce qui risque de se passer… Et effectivement, pendant un moment de silence, ce tout jeune enfant prend l’espace libéré pour « chanter ». Je dis « chanter » même si nous savons tous que les sons émis sont ténus et qu’il faut une grande attention du groupe pour les percevoir. Mais il est évident qu’il s’agit là d’une « prise de parole » volontaire et d’une communication en écho au groupe !
Ces découvertes, ces partages sont des moments forts pour les mamans et futures mamans ! C’est le moment de leur rappeler qu’il est important de jouer vocalement avec leur tout petit. Qu’en vocalisant et conversant régulièrement avec leur bébé, elles l’aident à se construire. Que ces jeux vocaux de questionnements, d’imitations et de miroir sont les fondements de la parole. Que par ce faire, elles permettent à l’enfant de construire les bases du langage. Alfred Tomatis, qui a beaucoup travaillé sur l’oreille et sur le langage écrit dans son ouvrage intitulé : «L’oreille et le langage» :
c’est le stade affectif du langage qui fera bientôt place au stade ludique…Tandis que nous entendons, tandis que nous appelons – peut être avons-nous seulement vociféré, nous prenons conscience d’une possibilité extraordinaire qui nous échoit : celle de faire du bruit. Mais quels bruits ! Des hauts, des bas, des aigus, des graves, des courts, des longs, des forts, des moins forts. Voilà un jeu qui s’inscrit dans notre apprentissage d’homme, bien avant l’usage de nos pattes. Crier, se répondre, s’entendre crier, s’étonner du son que l’on vient d’écouter, se reconnaître capable d’émettre et de commander…, voilà bien le jeu le plus attrayant que l’on puisse imaginer… Il y a là un des phénomènes humains des plus constants, des plus précieux, des plus à protéger, mais sans nul doute des plus fragiles, celui de la prise de conscience de notre émission et de notre propre écoute…Ce jeu incessant, ce va-et-vient sonique, ce bain dont nous savons nous envelopper, cette plongée dans le monde bruyant que nous savons susciter, voilà notre premier éveil à la vie, voilà notre première marque d’autonomie…C’est là un mécanisme humanisant des plus remarquables à saisir dans l’évolution de notre langage… Ce cri, que nous contrôlerons bientôt, part avec notre souffle, s’y superpose et s’identifie à lui. L’homme accède à l’humain : du souffle il sait faire naître le langage.